À Chartres, vivait un clerc, orgueilleux, pervers, amoureux de vaine science, et possédé surtout par le démon du plaisir. Il ne songeait point à résister à ses tentations et il péchait, inlassable, en tout lieu, à toute heure, à chaque occasion, ne se souciant de Pâques non plus que de Noël, négligeant veilles et fêtes ; se menant comme une bête, enfin, dépouillé de cette pudeur qui arrête les sages et les empêche de céder à l’appel sans cesse renouvelé de ces mauvais instincts.

Ce malheureux, pourtant, avait un mérite : c’était sa parfaite dévotion à Notre-Dame. Il n’en rencontrait pas la moindre image qu’il ne s’arrêtât, ne se mît à genoux, ne saluât mainte fois la sainte Mère, battant sa coulpe, la face mouillée de larmes et tout plein, si fou qu’il fût, d’une tendresse et d’un repentir infinis. Le Diable, cependant, travailla de telle sorte que, sans pouvoir se confesser ni parler à aucun prêtre, ce pécheur mourut et fut mis en bière. Nul ne le regretta et chacun fut d’avis qu’il n’avait reçu là que ce qu’il méritait. Le clergé refusa de lui accorder la sépulture et on l’enfouit, hors des murs, en un fossé, comme un vulgaire et misérable larron.

La Douce Dame, cependant, Celle qui jamais les siens n’oublie, n’oublia pas son serviteur. Le trentième jour après cet événement elle apparut à un ecclésiastique de la cité, lui demandant pourquoi on avait infligé une telle honte à son ami. Et, comme le prêtre ne comprenait pas, elle lui révéla la dévotion du trépassé, son attitude devant elle, ses oraisons, ses pleurs, et conclut enfin par un ordre formel de le déterrer dès le lendemain matin pour le transporter en lieu honorable, si on avait quelque souci de ne la point mécontenter.

Ce qui fut fait. À l’aube, le clergé s’assemble, commente, plein de crainte, la merveille et s’empresse d’obéir. On se rend au fossé, on creuse la terre, on sort le cercueil et on l’ouvre. Or, que voit-on ? Le corps était intact et tel que si on venait de le voiler à peine, la face reposée, la langue aussi vermeille qu’en mai fleur nouvelle, de la bouche sortaient cinq roses épanouies. Et l’on eût dit que le gisant était tout prêt à se lever pour saluer, à sa coutume, la Dame qui l’avait conservé pour lui témoigner, devant tout un peuple, une éclatante faveur.

Grande fut l’édification, grand le transport des assistants. Chacun s’écrie : « Dame honorée, qui Jésus porta dans son sein, ah, comme il ne perd pas son temps celui qui, de vrai cœur, vous aime et prie ! Qu’il est né pour un heureux sort celui qui vous implore simple et confiant ! » Ils se réjouissent ainsi et se lamentent, puis, quand ils ont assez chanté ou pleuré, la messe dite, en noble pompe et foule épaisse, au plus beau point du cimetière, ils transportent le cadavre méprisé, puis devenu, par le miracle, semblable au corps suave des saints.

Or, vous pouvez voir le succès de la supplique adressée, par l’intervention de sa Mère, au Roi des Cieux. Le clerc qui s’employa si bien à vénérer Notre-Dame fut bien payé de son doux labeur. Comme un homme sage et notable, il connut l’honneur de la terre sainte, et sa bouche muette continua d’épeler par les cinq roses les cinq lettres du nom savoureux et si souvent confessé de Marie.

(Extrait de l’ouvrage Les plus beaux miracles de la Vierge de Gauthier de Coincy)