Saint Jean Eudes
Que fait, premièrement, cette divine Marie ?
Qu’est-ce qui se passe en son extérieur et en son intérieur ?
La voilà qui fait sa première entrée dans le temple. Elle sait que c’est la maison de Dieu, qui n’est pas moins sainte que le ciel, et qui ne mérite pas moins de vénération que le ciel, puisque le Dieu du ciel y est aussi présent et y fait autant sa demeure que dans le ciel. Aussi, se persuadant qu’elle est autant devant la face de Dieu comme les Anges qui sont dans le ciel empyrée, elle se comporte dans ce lieu saint avec un merveilleux respect, piété et dévotion. Vous ne voyez rien en elle de puéril ni d’enfantin ; vous n’y voyez que des marques d’un profond recueillement et une modestie angélique. Elle ne tourne point la tête ni la vue de côté et d’autre ; elle ne regarde personne ; ses yeux sont modestement baissés. Elle est dans un profond silence ; elle ne parle à personne qu’à Dieu. Cette divine Enfant qui est dans ce temple est elle-même un vrai temple, un temple vivant, le temple de la Divinité, et un temple plus auguste et plus saint incomparablement que ce temple matériel. Et néanmoins elle s’humilie profondément, s’estimant très indigne d’être dans ce saint lieu. Et elle y est toujours, non debout ou assise, non pas sur des coussins ou des carreaux de soie, quoiqu’elle soit princesse et d’une race royale ; non pas aussi élevée et perchée sur des bancs ou des chaires, mais à genoux sur le pavé du temple, ou même prosternée sur sa face pour adorer son Dieu. Voilà quelque chose de son extérieur.
Mais qui pourrait dire ce qui se passe dans son intérieur ?
Tout son esprit, tout son cœur, toute sa volonté, toutes les puissances et toutes les affections de son âme sont appliqués à Dieu pour le contempler, pour l’adorer, pour le louer, pour l’aimer, pour le glorifier, pour s’offrir, se donner, se consacrer et se sacrifier entièrement à sa divine Majesté. Elle lui rend des adorations et des louanges plus saintes et qui lui sont plus agréables que toutes celles qui lui ont été rendues dans ce temple, depuis près de mille ans qu’il est bâti. En un mot, vous diriez, à la voir, que ce n’est pas un enfant ni une créature humaine, mais un Séraphin incarné qui a pris la forme d’un enfant.
Que font ici saint Joachim et sainte Anne, le père et la mère de cette admirable Enfant ?
Ils adorent, louent et glorifient Dieu avec leur sainte fille. Ils lui rendent mille et mille grâces de leur avoir donné un si précieux trésor. Ils l’offrent et la présentent à sa divine Majesté avec une humilité, une dévotion et un amour qui ne se peut exprimer.
Que fait saint Joseph et les autres parents, amis et voisins de saint Joachim et de sainte Anne ?
Ils se réjouissent de la grâce que Dieu leur a faite. Ils le bénissent d’avoir rendu cette Enfant si parfaite. Ils admirent sa vertu et sa sainteté, et ils ont bien plus sujet de dire d’elle ce que les voisins de saint Zacharie et de sainte Élisabeth disaient du petit saint Jean-Baptiste en sa naissance : Quelle sera cette Enfant, dans laquelle la toute-puissante main de Dieu fait déjà de si grandes choses ?
Que font les prêtres qui sont en office dans le temple ?
Ils reçoivent avec joie et admiration cette sainte Enfant, comme une victime sacrée qu’ils offrent à Dieu, avec une dévotion extraordinaire que le Saint-Esprit excite dans leur cœur, sans leur faire connaître le secret de ce mystère, si ce n’est peut-être à saint Zacharie, qui était de l’ordre sacerdotal et qui était pour lors dans l’exercice de son ministère, selon le sentiment de saint Germain, patriarche de Constantinople, et de George, archevêque de Nicomédie, qui écrivent que, s’étant trouvé dans le temple en cette occasion, ce fut lui qui reçut notre divine Enfant, laquelle était sa parente, et qui la mit dans la Communauté des vierges qui vivaient ensemble dans une maison jointe avec le temple, après avoir offert à Dieu cette sainte et immaculée hostie, dont l’oblation rendit plus de gloire à sa divine Majesté que tous les sacrifices qui lui avaient jamais été offerts dans ce temple.
Que fait sainte Anne la prophétesse, qui vivait si saintement parmi les vierges et les veuves qui étaient retirées dans le temple, et qui apparemment en avait la conduite ?
Elle considère attentivement tout ce qui se passe ; elle a les yeux et le cœur tellement collés sur cette aimable Enfant, qu’elle ne la perd point de vue. Et comme elle attend avec des désirs très ardents la consolation d’Israël, c’est-à-dire le Sauveur du monde, et qu’elle sait que sa venue est proche, selon les oracles des Prophètes, et qu’il doit naître d’une Vierge, et qu’étant prophétesse, elle est remplie de la lumière du Saint-Esprit, elle conçoit une grande espérance que cette petite Vierge pourra être sa mère. A raison de quoi elle entre dans des sentiments très particuliers de respect et d’affection vers elle, qui lui donnent le désir d’en prendre un soin extraordinaire pendant qu’elle sera dans le temple.
Que font saint Gabriel et tous les autres Anges qui sont ici, dont nous avons parlé ci-dessus ?
Ils sont très attentifs à considérer tous les mystères qui s’y passent. Ils ont les yeux fixés sur cette petite et séraphique Marie, et sur tout ce qu’elle fait.
Saint Gabriel se réjouit et rend grâces à Dieu de la faveur très singulière dont il l’a honoré de lui avoir donné la garde de celle qui doit être la Mère, la nourrice, la gouvernante et la gardienne du Roi des Séraphins. Tous les autres Anges se conjouissent et bénissent Dieu avec lui de l’avoir choisi entre eux pour un si glorieux emploi.
Tous les Anges gardiens de saint Joachim, de sainte Anne, de saint Joseph, de la ville de Nazareth, de la cité de Jérusalem et de toute la Judée font grande fête et donnent mille louanges à Dieu au sujet de cette admirable Enfant, qu’ils regardent et honorent comme la vraie Judith qui doit couper la tête du superbe Holopherne, et qui sera la gloire de Jérusalem, la joie d’Israël et l’honneur du peuple de Dieu, mais spécialement de ses parents et de celui qui aura le bonheur et la gloire d’être son époux.
Les Séraphins sont surpris de voir dans le Cœur de cette Enfant une fournaise d’amour divin plus embrasée que dans leurs propres cœurs.
Les Chérubins s’étonnent de voir une fille d’Adam, dans les ténèbres de la terre, toute remplie et environnée des plus belles lumières du ciel.
Les Trônes l’admirent comme le plus haut trône de la Divinité qui soit en la terre et au ciel.
Les Dominations la révèrent comme celle qui porte en son Nom de Marie la qualité de Dame souveraine de l’univers, et qui l’est en effet, même dans l’état de son Enfance, comme nous verrons ci-après quoiqu’elle n’ait pas encore l’usage de sa souveraineté.
Les Vertus l’honorent comme celle qui est le plus digne sanctuaire de toutes les saintes vertus.
Les Puissances la respectent comme celle à laquelle toute puissance est déjà donnée au ciel et en la terre, et qui a plus de pouvoir auprès du Tout-Puissant que tous les habitants du ciel.
Les Principautés lui portent honneur comme à la plus grande Princesse du royaume de Dieu.
Les Archanges sont ravis de voir tant de merveilles dans cette petite créature.
Les Anges glorifient Dieu d’avoir rendu une Enfant de trois ans plus pure, plus sainte et plus agréable à sa divine Majesté que tous les Esprits célestes.
Les Anges que Dieu a marqués pour la garde de ceux qu’il a prévu devoir appartenir plus particulièrement à cette Vierge admirable par la dévotion spéciale qu’ils auront pour elle, commencent ici à la servir et à l’honorer en leur nom et de leur part, comme leur Reine, leur Mère, leur protectrice, leur espérance et leur consolation.
Enfin, tous les Chœurs angéliques rendent grâces à la très sainte Trinité de s’être fait un ciel en la terre, et d’avoir changé la terre en un ciel, voire de l’avoir élevée par-dessus le ciel, lorsqu’elle y a mis une petite fille qui s’appelle Marie, dans laquelle et par laquelle sa divine Majesté est plus aimée et glorifiée que dans le ciel empyrée. C’est ainsi que tous les Anges célèbrent cette fête.
Ouvrons encore les yeux de la foi pour contempler ici les trois Personnes éternelles de la très adorable Trinité, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, et pour considérer et adorer ce qu’ils y font. Oh ! de quel œil regardent-ils cette admirable Enfant qui est le premier objet de leur amour ! Quelle complaisance prennent-ils en son humilité, en sa piété, en son amour et en toutes ses actions qu’elle fait avec tant de perfection ! Il me semble que j’entends la voix du Père éternel, qui dit d’elle ce qu’il dira un jour de son Fils Jésus : C’est ici ma fille bien-aimée, en laquelle j’ai mis ma complaisance. Et la voix du Fils, qui crie : C’est ici ma très aimable Mère, que j’ai choisie de toute éternité entre une infinité d’autres. Et la voix du Saint-Esprit qu’il fait retentir par tout l’univers : C’est ici ma très digne et très chère Épouse, que j’aime plus que toutes les pures créatures. Oh ! combien cette sainte et immaculée hostie qui leur est offerte aujourd’hui dans ce temple leur est-elle agréable ! Que rendent-ils à saint Joachim et à sainte Anne pour ce très précieux don qu’ils leur ont fait, puisqu’ils rendent au centuple et mille fois au centuple tout ce qu’on leur donne ! Oh ! quelle abondance de lumière, quelle profusion de grâces répandent-ils dans les esprits et dans les cœurs du père et de la mère, et encore plus de la fille !
Ô grand Dieu, qui faites descendre le feu du ciel pour consumer le sacrifice d’Élie, le sacrifice d’un bœuf qui vous est offert par ce saint prophète, quels feux, quelles flammes, quels embrasements allumez-vous sur l’autel des sacrés cœurs de Joachim, d’Anne et de Marie, trois cœurs qui ne font qu’un cœur, pour consumer la sainte victime qu’ils vous offrent ! Je vois, d’un côté, cette aimable Enfant qui se présente, se donne, se consacre et s’immole entièrement et de tout son cœur à la gloire de votre divine Majesté ; et d’autre part, je vois que vous la recevez, vous l’acceptez, vous vous l’appropriez, vous en prenez possession, vous l’unissez à votre divinité de la plus étroite union qui fut jamais, vous la logez dans votre sein et dans votre cœur, pour la préparer à faire en elle et par elle les plus grandes merveilles de votre toute-puissante bonté, pour la disposer à être la Mère de notre Rédempteur, et à coopérer avec lui à l’œuvre de notre rédemption ; comme aussi à être notre vraie Mère, à laquelle vous communiquez votre puissance, votre sagesse et votre bonté, afin qu’elle puisse, qu’elle sache et qu’elle veuille nous affranchir de toutes sortes de maux, et nous combler de toutes sortes de biens. Grâces infinies et immortelles vous en soient rendues, ô très adorable Trinité !
Ô divine Enfant, je me donne à vous de tout mon cœur, avec tous mes frères et toutes mes sœurs : employez vous-même, s’il vous plaît, la grande puissance que Dieu vous a donnée, pour prendre une entière et parfaite possession de nous, afin de nous présenter et de nous immoler avec vous à l’honneur et à la gloire de la très sainte Trinité.
SAINT JEAN EUDES. ŒUVRES COMPLETES. TOME V. CHAPITRE XXV.
LE DIXIEME MYSTERE DE LA SAINTE ENFANCE DE LA BIENHEUREUSE VIERGE, QUI EST SA PRESENTATION A DIEU DANS LE TEMPLE DE JERUSALEM. V260-V268.